Conte d'une Princesse

Il était une fois, une princesse, un roi et un royaume. Le royaume était prospère et le roi, bon, honnête et courageux. Le roi n’avait qu’un enfant, la princesse et il l’aimait plus encore qu’il n’aimait son royaume. Il l’aimait tant, qu’il n’osait jamais rien lui refuser. Lorsqu’elle était enfant, les artisans de tout le royaume voyageaient pendant des mois jusqu’au château pour offrir quelques jouets de conception originale que la princesse ne possédât pas encore et ils savaient que ce faisant, ils seraient récompensés généreusement par le roi.

Bientôt, la princesse fut en âge de se marier. L’enfant était devenu femme et dans tous le royaume, on louait sa beauté : “La princesse est la plus belle jeune femme du royaume !” clamait-on, bien que peu aient pu la contempler de leurs propres yeux.

Comme le roi n’avait aucun fils, il était de notoriété publique que le jeune homme qui épouserait la princesse hériterait de tout le royaume.

Pour ces raisons, lorsque fut annoncé que la famille royale recherchait un prétendant pour la princesse, le château fut enseveli de visites lors desquelles de nobles parents vantaient les attributs de leurs nobles fils.

Le roi était perdu. Ses trésoriers lui conseillaient de choisir le prétendant dont la famille était la plus à même d’enrichir les coffres du royaume, les diplomates favorisaient les jeunes nobles appartenant aux familles dont l’influence était la plus importante, et sa fille, qui voyait les prétendants défiler dans le château comme autant d’atours qu’elle s’imaginait porter, suppliait son père de choisir un des jeunes hommes à l’esthétique plaisant.

Le roi, qui était devenu roi grâce à ses prouesses guerrières était dubitatif : “Pourquoi faudrait-il que je fasse don de mon royaume et de ma fille à un noble dont le seul mérite est d’être né avec une bonne tête ou une bonne famille ?” disait-il. Et lorsqu’il disait cela, il tapait très fort sur la table, ce qui faisait toujours sursauter la princesse.

Pour cette raison, le roi décida d’organiser un grand évènement : les jeunes nobles souhaitant gagner la main de la princesse furent conviés aux plus grands jeux jamais organisés. Les prétendants pourraient s’y affronter dans des épreuves qui mesureraient leur dextérité, leur force et leur patience.

Les jeux commencèrent et la princesse était plus joyeuses qu’elle ne l’avait jamais été. Elle s’asseyait sur la haute estrade, à la droite de son père, et portait chaque jour, une robe différente. Elle regardait avec délice les nobles de tout le royaume s’affronter pour l’honneur de l’avoir pour épouse.

Au bout de quelques jours, il ne restait que deux contestants qui devaient s’affronter pour la finale du tournoi. L’un était le favori du royaume et de la princesse, il avait tout du prince : le sourire, le visage, l’armure étincelante et le cheval blanc. L’autre était un noble d’une famille peu connue qui avait surement été anobli par erreur. Son visage était pâle et laid, il avait un bouton sur le nez et un autre sur le menton et il portait toujours des vêtements à peine plus distingués que ceux d’un paysan. Bien que la princesse ne lui eût jamais adressé la parole, elle avait entendu, près des cuisines, des rumeurs tout à fait fiables selon lesquelles le jeune noble était aussi méchant qu’il était laid.

Lorsque la joute finale commença, le royaume tout entier retient son souffle.

A la stupeur de tous, le combat ne dura que quelques secondes à l’issue desquelles le beau prince fut vaincu.

Le roi se leva alors, dans un silence de mort, pour féliciter le vainqueur sous les yeux ébahis de sa fille et du royaume.

Lorsqu’elle put parler à son père en privé, la princesse dit : “si vous ne renoncez pas à me marier à ce monstre, je jure que je sauterai du haut de la plus haute tour du château”

Le roi aimait sa fille plus que tout mais ne pouvait se résoudre à revenir sur sa parole devant l’ensemble du royaume.

Alors la princesse courut le long des interminables escaliers de la plus haute tour du château jusqu’à ce qu’elle en atteigne la plus haute fenêtre. Elle se penchât par la fenêtre et entreprit de sauter. Mais elle fut soudain emprise de doute : “Peut être ai-je réagi trop hâtivement” pensa-t-elle. Elle descendit donc par les escaliers, toute pleine de colère mais resignée à ne pouvoir échapper au mariage.

Quelques années plus tard, la princesse donna naissance à un fils. Lorsqu’elle vit son fils pour la première fois, elle s’aperçut avec effroi qu’il était aussi moche que son père. S’en suivit une détresse sans pareil. Pendant des nuits entières, elle ne put empêcher ses larmes de couler : qu’avait-elle donc fait pour mériter un destin si cruel ?

Quelques années plus tard, la princesse donna naissance à son second fils. Cette fois ci, elle osa à peine le regarder, de peur d’y voir la même laideur que pour le premier. Lorsqu’elle posa son regard sur l’enfant elle ne put contenir un cri de répulsion si intense que tout le château cru pendant un temps que le second enfant n’avait pas survécu à la naissance.

Enfin, quelques temps plus tard, la princesse donna naissance à un troisième garçon. Cette fois ci, elle ne daigna même pas regarder le nouveau-né : “Je suis résignée à mon sort” avait-elle dit aux servantes “je suis à court de larmes et à court d’espoir”. Sous l’insistance de ses servantes, elle prit finalement le nouveau-né dans ses bras et lorsque son regard se posa sur son enfant, son cœur fut inondé d’allégresse. L’enfant était beau. Si beau. Des larmes de joies perlèrent aux coins de ses jolies paupières. “Jamais encore je n’ai été si heureuse” déclara-t-elle tout haut. “Je suis de nouveau dans la grâce des dieux. Cet enfant est leur offrande. Regardez-le donc, il a tout de moi, et rien de lui.”

Lorsque l’enfant se mit à pleurer, la princesse s’émerveillât plus encore : “Ecoutez ! Même lorsqu’il pleure, sa voix semble douce et harmonieuse.” Et sur ce, elle avait laissé les nourrices s’occuper de l’enfant.

Ainsi, le temps passa dans le château. Le roi était le plus souvent occupé ou en voyage. Les deux ainés restaient alors en la seule compagnie de leur mère et comprirent rapidement que malgré leurs efforts, celle-ci ne ressentait aucune affection à leur égard. Ils avaient pourtant tout essayé pensaient-t-ils. Un jour d’été, ils avaient passé ensemble une journée entière dans les jardins à cueillir des fleurs choisies avec soin. Ils avaient en effet entendu une des vieilles servantes expliquer qu’un bouquet de fleurs soigneusement choisies pouvait faire fondre le cœur de n’importe quelle femme. Une fois le bouquet composé, ils avaient donc couru à toute allure, vers la chambre de leur mère. Lorsque la servante leur avait ouvert la porte, leur mère était assise sur sa chaise préférée à l’autre bout de la chambre. Elle tenait dans ses bras leur petit frère et lui fredonnait une chanson. Les deux ainés qui étaient tout agités à l’idée d’enfin faire fondre le cœur de leur mère avaient tendu le bouquet à bout de bras et appelé ensemble la princesse, de toute voix et sans synchronisation tout en tout en sautillant sur place.

Le brouhaha des deux enfants avait alors réveillé le plus jeune des frères qui avait commencé à pleurer dans les bras de sa mère. La mère, avait tourné son regard vers les deux ainés, et s’était alors emporté : “Suffit ! Avec tout ce bruit, vous avez réveillé le petit ! Et vous sautillaient bêtement sur place alors que vos chaussures sont pleines de boue. N’avez-vous donc aucun respect pour les pauvres servantes qui balaient derrière vous ?”

Et sur ce, leur mère les avait congédiés sans un regard pour le joli bouquet.

Les deux ainés souffraient beaucoup de n’être pas aimé par leur chère mère.

Toutes ces années, ils accumulèrent un ressentiment considérable et, comme il est bien difficile pour des enfants de percevoir avec clarté l’origine de leur douleur et encore plus difficile de détester sa mère, ils avaient décidé tout naturellement que la compétition de leur petit frère était la seule et unique source de leur malheur. Ils s’appliquèrent donc, de façon étonnamment méthodique et coordonnée à faire souffrir leur petit frère autant qu’ils avaient eux-mêmes souffert et complotèrent, en vain, des centaines de méfaits et de mensonges pour discréditer leur petit frère aux yeux de leur mère.

Bien qu’il fût leur victime tout le long de sa courte existence, le dernier frère aimait ses ainés d’un amour pur et naïf et cherchait constamment leur attention et leur validation. La princesse voyant son fils favori se faire rejeter à maintes reprises par ses frères disait toujours : ¨Cesse donc de chercher la compagnie de tes frères. Ils sont méchants, moches et vicieux. Ils ont toujours un intérêt lorsqu’ils font le bien mais font le mal sans raison. ¨ L’enfant pleurait alors car il aimait sincèrement ses frères et souffrait d’entendre sa mère proférer de tels reproches à leur sujet. La princesse, qui ne supportant pas de voir son fils pleurer ajoutait alors : ¨Ils sont nés de cette façon, tu sais. Nul n’est à blâmer. Il faut les éviter sans haine comme on évite de trop s’approcher des pauvres gens qui toussent. ¨

Un soir, alors que les deux frères naviguaient ensemble dans les profondeurs du donjon, ils firent une sinistre rencontre. Les sous-sols du donjon étaient un labyrinthe qu’eux seuls osaient fréquenter tant ses couloirs étaient sinueux et sombres. Au détour d’un couloir, ils aperçurent une porte entre-ouverte et comme ils étaient sans peur et doté d’une curiosité malsaine, ils y entrèrent.

À peine entré, la porte se referma avec fracas dans leur dos puis une dizaine de torches reparties tout le long de la pièce s’enflammèrent simultanément. Au milieu de la pièce, éclairée par la lumière vacillante des torches, se tenait une vieille femme, petite et bossue. Elle avait le visage ridé et un long nez peuplé de pustules tantôt rose, tantôt blanchâtre et, à la place de ses yeux, deux trous béants profonds et si sombres qu’ils semblaient dévorer avidement la faible lumière des torches.

Les deux frères comprirent qu’ils avaient enfin rencontré la fameuse sorcière du château, celle-là même dont ils avaient entendu les contes toute leur enfance. Il était dit que la sorcière était dotée de pouvoirs magiques extraordinaires et qu’elle proposait ses services à quiconque la rencontrait.

“Sorcière ! Nous requérons vos services !” dit l’ainé des deux frères.

La sorcière sourit révélant l’absence de dents derrière ses lèvres gercées : “Et qu’est-ce qu’une vieille femme comme moi aurait donc à offrir aux deux princes du royaume ?”

Les deux frères se concertèrent avant de répondre.

“Nous voulons l’amour de notre mère. Qu’elle nous aime nous, plus qu’elle n’aime notre frère.”

Avant même qu’ils n’aient terminé leur phrase, la sorcière remuait déjà la tête : “Hélas, mes chers enfants, je ne puis agir sur le cœur des Hommes.”

Les deux frères se concertèrent de nouveau puis annoncèrent leur vœu :

“Nous souhaitons que notre petit frère soit défiguré au point que nul ne puisse poser son regard sur son visage sans ressentir la plus intense des répulsions.”

À ces mots, la sorcière souris. “Bien dit-elle, voilà qui est en mon pouvoir. Sachez tout de même, que pour mes services, il y aura un prix à payer. Voyez-vous, depuis bien longtemps déjà, je ne possède plus de dents, ce qui est fort peu commode. Tout ce que je demande, c’est que chacun de vous m’offre la moitié de vos jolies dents. Ce n’est pas un si grand prix à payer, après tout, il est tout à fait possible de manger avec une moitié de dents.”

Les deux frères acceptèrent. La sorcière récita alors une longue formule magique et les deux frères hurlèrent de douleur en sentant leurs dents arrachées une à une “plop ! plop ! plop…”.

Une fois le sortilège terminé, les deux frères se précipitèrent hors des donjons et furent rassurés de constater que leur petit frère était bel et bien défiguré. Il était maintenant aussi laid que possible ! Ils pensèrent : enfin Mère va rejeter notre petit frère. Mais il n’en fut rien. La princesse avait, certes, pleuré toutes les larmes de son corps lorsqu’elle avait vu le pauvre visage de son fils, mais, par amour, alors que toutes les servantes s’étaient détournées de l’enfant, elle avait fermé les yeux, s’était approché de lui et lui avait murmuré : “chante pour moi” et les paupières toujours closes, elle l’avait écouté chanter de se voix douce et mélodieuse.

Les deux frères étaient furieux. Ils entreprirent alors de retrouver la sorcière dans le donjon.

“Mes chers enfants” dis la sorcière, “Que puis-je faire pour vous satisfaire ?”

“Notre frère, commencèrent-ils ensemble, faites que sa voix soit abominable ! Que quiconque entende sa voix soit pris de nausées insoutenables !”

“Bien bien dis la Sorcière. Voilà un sortilège bien vicieux. Je crains qu’encore une fois il faille que je demande paiement pour accomplir un tel exploit.”

“Nommez votre prix sorcière !” répondirent les deux frères.

“Voyez-vous, il y a quelque temps, j’ai perdu mes deux yeux et je vis depuis, dans l’ombre la plus totale. Pour accomplir vote souhait, je ne demande à chacun de vous deux qu’un seul de vos deux yeux. Ce n’est pas un si grand prix à payer, après tout, à quoi bon avoir deux yeux quand un suffit pour voir ?”

Les deux frères, convaincus par les arguments de la sorcière, acceptèrent. La sorcière souris alors, révélant des dents parfaites puis commença l’incantation. Les deux frères s’écroulèrent sur le sol et convulsèrent de douleur alors qu’un de leur deux yeux était lentement arraché de leur orbite “Swooosh !”.

Lorsque le sortilège fut terminé, les deux enfants tâtonnèrent pour sortir du donjon car il était en réalité bien plus difficile de voir avec un seul œil. Lorsqu’ils atteignirent enfin la résidence de leur chère mère, ils furent récompensés par, ce qui était à leur œil, la plus exquise des récompenses. Leur petit frère était dans la pièce, tout seul, et il sanglotait. Lorsqu’il vit ses frères, son visage s’illumina d’espoir : “Frères, c’est terrible, tout le monde est parti. Toutes les servantes, même mère s’en est allé. Pourquoi tout le monde m’a t’il abandonné ?”

Puis ses frères s’approchèrent encore et il put voir qu’ils n’avaient qu’un œil et que la moitié de leurs dents. Il fut pris de pitié pour ses frères qu’il adorait. “Que vous est-il donc arrivé ?”

Les frères se regardèrent alors et, sans qu’ils aient besoin de parler, eurent en même temps, la même idée. “Ce qui nous est arrivé est terrible. Nous avons malencontreusement rencontré la sorcière du château. C’est elle qui nous a volé nos yeux et nos dents.”

Le petit frère était abasourdi. Soudain son propre sort lui semblait bien moins à plaindre par comparaison. “Que peut-on faire ?” demanda-t-il “Il doit y avoir un moyen de récupérer ce qui vous appartient !”

“Peut-être” répondirent-ils. Et ainsi, pour la première fois, ils prirent leur petit frère par la main et commencèrent la longue descente vers les donjons.

Le petit frère était ravi, il avait tout à fait oublié l’abandon de sa mère et des servantes. Enfin, il avait ses deux grands frères pour lui seul. Ils le tenaient par la main fermement, si bien que lorsqu’ils entrèrent dans les donjons, sombres humides et froids, et même quand il se retrouva face à l’horrible sorcière, il n’avait pas peur.

“Oh vous voilà donc réunis” dis la sorcière. “Je suis ravie que mes charmes soient parvenus à rapprocher les princes du royaume. Que puis-je faire pour toi petit prince.” et son regard se posa sur le plus jeune des frères.

Le petit prince s’arma de tout le courage dont il disposait et s’exclama : “Sorcière ! J’exige que vous rendiez à mes frères ce que vous leur avez pris !”

“Hum…je vois, et qu’es-tu près à m’offrir en échange de mes services ?”

“Tout ce que vous voudrez” répondit l’enfant avec aplomb.

La sorcière se mit alors à ricaner “Ah Ah Ah”

“Voilà une offre que je ne peux refuser” dit-elle.

Et elle commença l’incantation. Le petit frère hurla, un cri si perçant que du plus haut de la plus haute des tours, sa mère perçu la douleur de son fils. Elle descendit les escaliers à toute vitesse, traversa les donjons sans hésitation puis entra dans la pièce éclairée par les torches.

Elle vit d’abord ses deux fils debout l’un à côté de l’autre. Puis, à leur pied, son fils adoré, recroquevillé et tremblant sur le sol froid et sale.

Elle se précipita vers son pauvre fils qui gémissait faiblement. Puis elle vit son visage. Se yeux avaient été arrachés, laissant deux trous béants, toutes ses dents étaient parties et sa peau était toute fripée.

Elle se tourna alors vers les deux ainés : “Qu’avez-vous fait ?” et elle pleurait de désespoir et de colère.

“Ce n’est pas nous, c’est la sorcière !” répondirent les deux frères et, avec leurs deux yeux, ils cherchèrent la sorcière du regard, mais elle semblait avoir tout à fait disparu.

Folle de chagrin, la princesse s’enfuit. Elle monta à toute haleine les escaliers de la plus haute tour du château, puis, sans hésitation, elle se jeta par la fenêtre.

Le roi ne revint jamais de son voyage. Certains disent qu’il avait été mortellement blessé en bataille d’autres qu’il était tombé gravement malade et d’autres encore qu’il avait succombé aux charmes d’une charmante demoiselle qui avait su l’aimer malgré son physique repoussant.

L’ainé fut donc couronné, mais comme il ne savait que faire sans son frère, il fit forger une nouvelle couronne et un nouveau trône pour qu’ils puissent régner ensemble. Par pitié ou bien par cruauté, ils continuèrent de s’occuper de leur cadet. Celui-ci avait une place d’honneur à la droite des trônes. Puisqu’il ne pouvait voir ayant perdu ses deux yeux, les deux frères avait attaché une corde à son cou et le trainaient derrière eux où qu’ils aillent. Puisqu’il n’avait pas de dents, ils le nourrissaient exclusivement de bouillie, et puisque sa voix était toujours aussi désagréable, il avait l’interdiction de parler.

Les deux frères furent les rois les plus cruels de l’histoire du royaume, il est dit qu’au grés de leurs pérégrinations, lorsqu’ils apercevaient un paysan ou une paysanne au visage particulièrement ravissant, ils ordonnaient qu’on leur arrache un œil et la moitié de leurs dents.